Et le discours de Momo « On se rappelle tous ce qu’on faisait ce jour du mois d’Aout. Moi, j’étais avec mes parents, ma femme, mes enfants et je chargeais mon camion pour aller au Classic TT. Ça a été dur. Dur encore de ne pas avoir pu lui dire au revoir comme on le voulait, lui de retour à Chambois, nous en pleine course sur l’ile de Man, avec Stéphane et Ludo. La seule chose qu’on ait pu faire, c’est cette plaque bleue, avec écrit en blanc dessus « Place Fabrice Miguet, Road Racer épicurien », et l’accrocher, mon petit frère sur mes épaules, sur un lampadaire de la baie de Douglas, pour que chaque année les spectateurs du Tourist Trophy puissent se rappeler.
Mais se rappeler de quoi, de qui ? C’est cette question que je me suis posé en revenant de la course cette année-là. C’était qui Mig ? Qu’est ce qu’il nous reste de lui ? Bien sûr, c’était Mig le pote, Mig la bringue, Mig le pilote, bref, Fabrice Miguet, notre saltimbanque préféré. Mais sans qu’on ne s’en rende compte, Mig, représentait autre chose pour nous tous. Mig, c’était l’espoir. L’espoir de pouvoir devenir n’importe qui, de pouvoir décrocher nos rêves à coups de débrouille, d’entraide, de démerde, et de toutes ces choses qui rendaient chacune ses chevauchées fantastiques. Rencontrer le Mig, c’était nous rencontrer nous, fous passionnés de moto, mais en version sans limite. Parce qu’il osait, sans se poser la question d’un échec éventuel. Cette fameuse question qui nous fait parfois préférer le confort d’un canapé à ces voyages plein de tempêtes qui forment et déforment la jeunesse.
A 20 ans, je ne rêvais plus d’être Olivier Jacque. Je rêvais d’être un Mig. Un gosse du Mig. Un battant aux poches trouées comme lui s’il le fallait, prêt à tout pour vivre ses rêves, et ne plus rêver ma vie. Voilà, je crois, ce que nous a laissé Mig : L’envie d’être quelqu’un qui ne serait peut-être jamais riche, sauf de sa vie. Et bien sûr, il nous a laissé des histoires, des trucs terribles… Des assistances de moto tour en 2 chevaux, des courses de côte en Argentine, des motos terminées quasiment sur la grille de départ, des mécaniciens cachés dans des piles de pneus, des appels improbables à pas d’heure pour trouver des pièces pas possibles... On a tous une histoire avec lui, c’est ce qui nous le rendait aussi proche, ce qui fait qu’on est là aujourd’hui… Mon histoire avec lui a été courte, 14 ans seulement, et je tenais à écrire ce mot pour lui dire ce merci, parce qu’il m’a permis de me réaliser, comme il a permis à d’autres de réaliser leurs rêves de voyages, d’aventures, de compétition, du TT à Pikes Peak, en passant par Macao ou les 24 heures du Mans. Alors cette statue, moi au début, je ne savais pas quoi en penser. Je ne suis pas sûr que ça l’aurait branché pour le côté hommage, pas plus attiré par la gloire que par la reconnaissance. Et je l’entends de là en train de nous l’expliquer : « Ah beu beu beu, ben les gars, qu’est ce que ça ? C’est du bronze ? Du laiton ? Non mais c’est que tu te payes bien deux ou trois saisons avec ça si tu le fais fondre ! Qui c’est qu’à fait ça ? C’est toi, Grand Michel avec les copains ? Ben merci les gars, fallait pas. C’est drôlement joli, mais dis donc, si ils en font une pour tous les fous du village, va y avoir pénurie de métaux… Et du coup qu’est ce qu’on en fait, de votre bibelot, là, bon dieu d’innocent ? »
Hein, on en fait quoi ? Bien je crois que cette statue, déjà elle est belle, mais elle n’est pas là pour se souvenir. Elle est là pour se projeter pour être une amarre qu’on ne ferait que quitter. Pour être un point de départ avant une balade en bécane qu’on ferait en se donnant rendez-vous avec lui. Pour être ce détour inévitable dans un voyage normand, ou une étape sur la route de Douglas. Elle n’est pas pour lui, mais pour nous, et ça c’est la meilleure des idées. Elle est là pour se rappeler ce qu’il ne nous a jamais dit, mais qu’il nous a prouvé sans le vouloir : qu’on a qu’une seule vie, qu’elle est précieuse. Mais que pour apprécier la palette de ses saveurs, la seule solution, c’est d’oser la croquer à pleine dents, à chaque seconde, à chaque instant. Tic tac, tic tac, tic tac… »
_________________ JOELLE - SCRAMBLER 53
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